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Thursday 15 April 2010

Quote

"quand j'ai du tourner la séquence de l'enterrement du singe, le décorateur tout ébahi m'a demandé comment cela devait se passer. Je lui ai répondu: "cela doit être les funérailles, classiques, habituelles du singe moyen hollywoodien." On m'a demandé aussi s'il s'agissait bien de l'ancien amant de Norma Desmond dont William Holden vient de prendre la place. J'ai répondu oui, bien sûr, c'est exactement cela, mais voyez-vous, j'ai été très discret et j'ai montré un petit chimpanzé et non un énorme orang-outan" - Billy Wilder à propos de Sunset Boulevard

Michel Ciment - Passeport pour Hollywood, Ramsay 1987

Tuesday 13 April 2010

Werner Schroeter, extinction


La mort, la nuit dernière, de Werner Schroeter me touche vraiment. Elle me touche comme son cinéma avait pu me foudroyer, un soir des années 90 où au Forum des images je pus enfin voir la Mort de Maria Malibran (1973), qui fut un espèce de choc tellurique, un idéal de défonce et d'isolement : un opéra tombé du silence, une scène peuplée de travestis et de fantômes. Il n’était pas camp ou queer, il était autre chose: peut-être une sorte d’orfèvre pré-punk, héritier total de Cocteau, de Genet, de Jack Smith et de Jean Lorrain. Dès fois, à trois ou quatre on rêvait... et si le cinéma moderne ça n’avait jamais été que ça : lui Werner, Garrel, un peu Warhol (celui d’Imitation of Christ ou de Chelsea girls), Eustache : la beauté du geste.
Puis j’ai pu en voir d’autres, à Vienne notamment, dans ce vieux cinéma avec un balcon et des loges, comme autrefois : Tous les marins du monde, avec Margareth Clementi et Maria Schneider dansant pour des matelots sur fonds de murs peints. Et surtout Willow Springs, un road movie dément de 1974, tourné depuis le bord de la route, dans un motel désert où viennent s’échouer trois femmes éprises de passion qui écoutent Puccini, Presley, Rita Lee, des Calypsos. Parmi elles, il y a Magdalena Montezuma, sa créature (une ancienne serveuse de bar androgune dont il a fait une héritière de Garbo) et aussi Christine Kaufmann, l’ex épouse de Tony Curtis. Qui s’était réfugiée dans ce film en plein drame avec Curtis qui ne voulait pas lui rendre ses enfants. Et derrière a caméra, Werner, son visage à la Dürer, ses longs cheveux blonds et son chapeau noir. Au milieu de tous ceux-la, le cinéma se faisait naturellement.

Sur une table de montage, il y a cinq ou six hivers de cela, j’ai aussi pu enfin voir le Règne de Naples, son grand film narratif de 1978 (histoire de Naples, de 1943 à 1972), film quasi perdu aujourd'hui, et je pense que les scènes ou Margareth Clémenti, en pute folle, fait des passes sous les rochers d’une crique, derrière un rideau pourpre et sale battu par le vent, éclairé par les oriflammes d’un brasero, font parti de ce que j’ai vu de plus beau de ma vie, question mouvement et désenchantement.
J’ai mangé une fois avec lui à Vienne, il n’avait plus de gorge -cancer - (lui qui n’a jamais filmé que l’opéra et son extinction) et moi non plus, aphone pour six mois. Ce fut un repas cocasse, et mutique. A Paris, la dernière fois, il y a plus d'un an, il allait mieux, il se battait contre le cancer, on marchait dans la rue et il me racontait comment il était devenu un cinéaste : «Je suis arrivé au cinéma presque par hasard. J’avais arrêté des études de psychologie après trois semaines et j’envisageais reprendre mes activités de putain. J’avais fait ça quelques mois, à Mannheim, et c’était très instructif, je crois ; j’avais une clientèle de père de famille, très dans le cliché d’époque : mon fils ne me comprend pas, ma femme ne me comprend pas… Bref, mes parents n’étaient pas enchantés à ce que je reprenne mes activités érotiques, aussi ils m’ont encouragé à m’inscrire dans une école de cinéma, tout à fait théorique. Moi qui suis tactile, j’ai tenu trois mois, avant d’aller au festival underground de Knokke-le-Zout. Là, dans une atmosphère de liberté incroyable, j’ai découvert les films de Gregory J. Markopoulos (qui ont influencé mes premiers films, je ne connaissais ni le cinéma de Warhol, ni Jack Smith) et je suis tombé amoureux d’un garçon de 25 ans, qui répondait du doux nom de Rosa Von Praunheim. Rosa ne supportait l’autre qui si l’autre était créatif, alors je me suis mis à faire des films avec la caméra 8 mm de mon enfance pour lui faire plaisir. Un an après, mes premiers films étaient montrés dans un cinéma d’art et essai à Munich.Puis j’ai acheté une Baulieu 16 mm et j’ai enchaîné les films avec mes amis travestis qui constituaient une sorte de famille pour moi. En 1969, j’ai tourné Eika Katapa, et, de fil en aiguille, la télévision allemande me passa commande de films, puis les gens du théâtre et de l’opéra sont venus à moi.»
Je n’ai pas trop la force de décrire son cinéma. Je n’ai pas envie ce soir de ressortir la vielle artillerie des adjectifs : baroque, opératique, enluminures opiumées, artifices, cérémonial, tout ça…
Juste vous renvoyer sur ce lien qui vous permettra de voir la Mort de Maria Malibran et sur cet autre lien qui vous donnera l’intégralité d’une conversation sublime entre lui et Michel Foucault, retranscrite en 1981 par Gérard Courant. Et terminer sur ces mots, sur lesquels nous nous sommes quittés, en décembre 2008, marchant de nuit vers son hôtel rue de l'Odéon : «Assassiner les autres, c’est espérer se trouver éternel. L’appropriation propre au capitalisme va dans le même sens. Celui ou celle qui refuse d’être quitté,l’appropriation dont ils font preuve, est, elle aussi, une forme d’assassinat. En 1968, la mère de mon fils était tombée amoureuse de mon amant, un jeune artiste peintre américain. Elle était enceinte de quatre mois, ils se sont mariés et ont eu mon fils. J’étais heureux, tu ne peux pas imaginer. J’avais libéré ces deux êtres. Il faut ouvrir les bras, laisser partir, c’est cela la vie. Tu veux un exemple de ce que c'est que la passion? En 1981, j’ai été chez Michel Foucault. Il y avait deux téléphones. Le second était pour la seule personne qui avait ce numéro, un jeune garçon dont il était amoureux et qui n’appelait jamais. Mais il était heureux en attendant ce coup de fil qui ne venait jamais… C’est cela, la liberté.»

Et merde.

Sunday 4 April 2010

liste 1: si on avait le temps...



Sans rentrer dans le debat ordi/tele/salle obscure, illegal/legal, plaisir du rare/tout tout de suite etc, aujourd'hui, on veut voir un film, il est la. Bon, mon fetichisme de l'objet avait depuis
longtemps du plomb dans l'aile (contrairement aux livres), un DVD n'etant pas beaucoup plus desirable qu'un fichier avi, donc, cette disponibilite (avec ses reserves) nous convient plutot. Si ce n'est que les films deviennent comme les livres, ils s'entassent, apparaissent en un flash et disparaissent presque aussi vite dans notre pile pas si virtuelle.
Encore une fois,
time is the essence... Le temps et le talent rapide manquent. Donc une liste totalement inutile (brute) si ce n'est qu'elle provoquera peut-etre certains a ecrire, 10 films dont aimerait parler donc...

Hugo Santiago, Invasion, Arg., 1969.

Jon Jost, Last Chants for a Slow Dance, USA, 1977.

Robert Kramer, Ice, USA, 1972.

Robert Montgomery, Ride the Pink Horse, USA, 1977.

Michael Cain, TV Junkie, USA, 2006.

Coll, Deutschland Im Herbst, All., 1978.

Elio Petri,
Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto, Ital., 1970.

John Huston, The Kremlin Letter, USA, 1970.

Otto Preminger, The Cardinal, USA, 1963.

Benjamin Christensen, Haxan, Dan/Swe, 1922.


C'est pas si mal la liste sans commentaire ni theme. Pretentieux et Frime, Frime ? Peut-etre... Ou portrait en creux.

Les mentioner avant que d'autres ne prennent leur place, c'est deja quelque chose. On y reviendra peut-etre. Si vous avez envie d'en parler plus, tant mieux, dites le nous. A defaut, evidemment, regardez les, ils "meritent votre attention" comme on dit.

Ps: vous pouvez les trouver la. Sauf The Kremiln Letter, dispo sur dde ici meme.

Friday 2 April 2010

Marjoe, de Sarah Kernochan et Howard Smith (1972)


L’examen des posts de DiD trahit chez la plupart d’entre nous une fascination évidente pour l’Amérique ; pour son cinéma, pour ses villes, pour ses icônes subculturelles, pour sa gun culture, pour ses exégètes méticuleux. Il est pourtant un grand angle mort dans cet amour transatlantique : la religion. Ou plus exactement, la religion de la majorité des Américains, le protestantisme « born again ». Je pense que, cinéma et littérature aidant, nous connaissons mieux l’univers des Juifs américains ou des catholiques névrosés de Little Italy que celui de ces dizaines de millions d’évangélistes qui font et défont les présidents et les majorités au Congrès depuis une trentaine d’années ; et le cinéma s’est beaucoup moins aventuré sur ces terres que, mettons, dans les garages des gangs de motards ou dans les tours de verre des grands métropoles américaines.

Il y aurait là peut-être une idée de liste impossible : le cinéma évangéliste américain. Chacun se souvient du mysticisme insensé de la mère de Carrie, mais on ne peut pas dire que beaucoup de titres sautent à l’esprit au-delà de ce jalon névrotique (la plupart des films sur la subculture chrétienne en Amérique semblant sortir de l’imaginaire de chair et de sang du catholicisme, du Martin de Romero au Bad Lieutnant de Ferrara, en passant, bien sûr, par les évangiles de Mel Gibson et Martin Scorcese).

Ce qui nous amène à Marjoe. Oscar du meilleur documentaire en 1972, ce film est à l’évangélisme ce que la supercherie de Leo Taxil fut à l’anti-maçonnisme à la fin du XIXème siècle (Leo Taxil était un anticlérical facétieux qui, pendant une dizaine d’années, joua au repenti pour les catholiques ultras, inventant des conspirations satano-maçonnique qui excitèrent jusqu’au pape Léon XIII, avant de ridiculiser ses dupes en dévoilant la supercherie dans une conférence à scandale en 1897).

Marjoe (= Mary + Joseph) Gortner était le fils d’une longue lignée de prêcheurs itinérants, ces stars de la religion qui promènent leur chapiteau de ville en ville. Il embrassa la carrière à l’âge de QUATRE ans, et le film montre des images hallucinantes de ce bambin rose et frisé en train de prêcher la Bonne Nouvelle, et même de célébrer un mariage. Il devint aussitôt une vedette du circuit évangéliste des années 1940/1950, avant de renier son apostolat à l’adolescence, pour traîner un temps dans la scène hippie californienne. Le film le retrouve à 27 ans, alors qu’il faisait son grand retour sous les tentes pentecôtistes.

Mais, en acceptant d’être le sujet du film de Sarah Kernochan et Howard Smith, le but de Marjoe Gortner n’était pas de célébrer son retour à la religion. Mais de signer sa rupture avec le monde qui avait dévoré son enfance. Car ce que montrent ces images, c’est un manipulateur au visage d’ange, une sorte de Mick Jagger de Dieu qui met littéralement en transe son public familial en célébrant le Seigneur (loué soit son nom !), en attendant de pouvoir brasser avec jubilation les billets de 20 dollars fruits de la collecte du jour, quelques minutes plus tard. Et qui révèle ensuite aux réalisateurs, avec une franchise stupéfiante, ses trucs de performer et son manque total de foi. « J’espère devenir une rock star ou un acteur », dit-il à un moment avec candeur (finalement, il transportera son charisme dans Starcrash, un grotesque remake italianisant de Star Wars).

Le film en lui-même n’est pas très bien foutu, accordant trop de place aux performances de Marjoe et pas assez à son passé, à ses confessions ou à ces moments privés où se dévoile l’hypocrisie de ses confrères. Et Marjoe lui-même a ce côté antipathique du traître arriviste qui fait que, finalement, on ne le plaint pas. Mais, dans l’ensemble, ce petit film oublié est une plongée saisissante dans cette subculture faite de mysticisme et d’avidité ; un voyage dans un monde peuplé de personnages tout droit sortis d’un livre de Harry Crews.