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Monday 26 September 2011

Vanishing Point, Man in the Wilderness, Richard C. Sarafian 1971

En lui achetant du speed à Denver, Kowalski prend les paris avec son dealer: il sera demain à trois heures à San Francisco pour y livrer une Dodge Challenger immaculée et surboostée. La nuit est tombée,1500 kilomètres et deux états à franchir (Utah, Nevada) : il n’y a pas de temps à perdre. Kowalski appuie sur l’accélérateur et ne lèvera plus le pied. Il fonce droit devant lui et ne s’arrêtera pas. Kowalski a les cheveux bouclés, une barbe de trois jours et ses beaux yeux bleus ne regardent jamais la route. Ils fixent un repère précis et secret, au-delà des lignes d’horizon : un point de fuite. Durant 106 minutes, l’intérieur de son bolide sera notre salle de projection (qui est-il ? d’où vient-il, que cherche-t-il?) et son pare brise notre silver screen. À travers lui, c’est le souvenir de la beauté sauvage de l’ouest qui défile, une beauté saccagée, un champ de ruines peuplé de carcasses, de freaks, de hell’s, de flics et de stations services : l’Amérique désolée du début des années 70. En ultime héros américain, Kowalski va tenter de faire trembler à nouveau la frontière sous les roues de sa Dodge, de renouer une dernière fois (à plus de 200 km/h) avec l’esprit des pionniers en redessinant les cartes à coup d’accélérateur. Centaure mécanique, Kowalski fait corps avec sa monture : de l’essence pour le moteur et du benzédrine pour sa tête. La machine Kowalski carbure à la vitesse dans un état somnambule. Il ne dors pas, il n’a pas le temps pour ça. S’il ne regarde jamais la route, c’est qu’il sait ce qu’il fuit et qu’il sait où il va. Kowalski a rendez vous avec la mort.
Dans l’avant-dernière séquence nocturne et onirique (coupée de la version US), il prend une autostoppeuse énigmatique (interprétée par Charlotte Rampling) surgit de la brume au bord de la route. En filant dans la nuit, elle lui propose de fumer un joint. Défoncé, Kowalski doit s’arrêter sur un chemin de traverse. Elle lui demande pourquoi il va à San Francisco, il lui répond simplement « c’est la maison ». Elle ne lui révélera jamais son nom, mais lui déclare: « Je t’attendais depuis longtemps. Patiemment. C’est la seule façon d’attendre quelqu’un ». Ils s’embrassent. On ne sait pas s’ils se sont unis, mais au petit matin l’apparition a disparu. Son voyage fulgurant vers l’au-delà est aussi un voyage dans son propre passé. Au moment où il s’apprête à basculer de l’autre coté, la vitesse et la drogue le projettent dans le temps : Kowalski revoit le film des dernières quarante-huit heures bousculé par les plongées désordonnées dans son histoire personnelle. Si Kowalski est un homme qui n’a rien à perdre, c’est qu’il a tout perdu. Vétéran du Vietnam, il a été blessé et décoré de la médaille du courage. Ancien flic à San Diego, il a été exclu après avoir empêché son coéquipier de violer une gamine. Amoureux d’une hippie qui aimait ses cicatrices et le surf en hiver, sa planche est revenue sans elle, échouée sur une plage du Pacifique. Kowalski a été pilote professionnel, il a souvent risqué sa vie sur les circuits avant de raccrocher et de finir convoyeur.
Traquée par la police (Kowalski ne respecte pas vraiment le code de la route), son odyssée est commentée et anticipée par Super Soul, dj noir et aveugle d’une radio locale, véritable Cassandre funky guidant Kowalski à travers les ondes. « Personne ne peut gagner contre le désert » lui prédit Super Soul alors qu’il s’est enfoncé à travers les dunes pour échapper aux forces de l’ordre. « Va en enfer » lui rétorque Kowalski avant d’éteindre la radio. Il poursuit sa route seul dans une des plus belles séquences du film ou la Dodge ne cesse de recouper ses propres traces alors que la pellicule tremble et semble fondre dans la fournaise de ce labyrinthe sans murailles. Alors qu’il allait mordre la poussière, perdu au milieu de nulle part, Kowalski est sauvé par un charmeur de serpent. Il retrouve grâce à lui le chemin du monde civilisé après avoir croisé des hippies illuminés qui chante la gloire de Dieu aux portes du désert. Super Soul à fait de Kowalski un phénomène médiatique, idole d’une jeunesse qui croyait avoir fait le deuil de toute révolte. La foule et les caméras de télévision attendent l’issue de son épopée. Lui s’en fout, il la connaît, et fonce pour être à l’heure à son dernier rencard. La police de Californie a placé deux bulldozers sur la route pour bloquer son accès au royaume. Peu importe, Kowalski tente sa chance, il accélère, pied au plancher, et s’explose contre les lames d’acier. Richard C. Sarafian aurait voulu une fin plus ésotérique suggérant en coupant le son et en montrant Super Soul célébrer la victoire de Kowalski au moment de la collision que ce dernier a réussi, et accède à une nouvelle dimension, la route étant sans fin, tel un ruban de Moebius. En visionnant cette version le producteur de la Fox, Richard Zanuck, demande simplement à Sarafian « Richard, est ce qu’il meurt à la fin ? », le réalisateur lui répond : « M. Zanuck, cela dépend de votre point de vue », le producteur aura le dernier mot : « il doit mourir à la fin », anticipant sans le savoir une décennie où le nihilisme triomphera. Ce n’est pas la première des concessions que le réalisateur du faire sur Vanishing Point. Sarafian vient de la télévision et se lance dans le cinéma au début des années 70, il a refusé de tourner Downhill Racer (autre grand film sur la vitesse s’inspirant de la vie du champion de ski Jean Claude Killy) dans lequel Gene Hackman joue le rôle de l’entraîneur de Robert Redford, pour tourner Vanishing Point (son troisième long-métrage après Run Wild, Run Free un film sur l’autisme et le thriller Fragment of Fear). Pour Sarafian, Gene Hackman est le Kowalski du scénario de Guillermo Cain (pseudo de l’écrivain cubain Guillermo Cabrera Infante, l’auteur de Trois tristes tigres) mais il se voit imposer un parfait inconnu, Barry Newman, dont le père, grand ami de Sinatra, a une certaine influence sur Zanuck. La star du film sera donc pour lui la Dodge Challenger, un model choisit par le producteur afin de remercier Chevrolet pour sa longue collaboration avec la Fox (c’est une Chevrolet Camaro qui sera sacrifiée au final) dont la couleur, blanche, n’a pas valeur de symbole mais de repère visuel dans le paysage. Des problèmes budgétaires ramèneront le tournage prévu de 60 jours à 22 et plutôt que de tourner à l’arraché, Sarafian préfère couper 20 pages du script. Le caractère elliptique et fragmenté du film, qui contribue pour beaucoup à son climat de rêve éveillé, vient sans doute de cette décision. Mais la Fox ne croit pas au potentiel du film qu’ils abandonnent dans le circuit des cinémas de quartier où il reste deux semaines à l’affiche. Son succès en Europe lui donne une seconde chance en double programme, couplé à French Connection, mais c’est sa diffusion à la télévision en 1976 qui en fera un film culte. En 1997, les anglais tripés de Primal Scream enregistreront, en plein rush de défonce, l’album Vanishing Point qui se présente comme une bande son alternative à celle, assez inoffensive, du film.
1971 est une année faste pour Richard C. Sarafian puisqu’il réalise également le magnifique Man in the Wilderness, véritable contrepoint à Vanishing Point, film jumeau et miroir. Nous sommes au début du XIX ème siècle au Etats-Unis, un étrange convoi (un bateau rempli de peaux) doit parvenir aux rives du Missouri avant la fin de l’hiver s’il veut éviter la décrue. Parmi les hommes de l’équipage, un trappeur à la poursuite d’un gibier, Zachary Bass (Richard Harris tout droit sorti de A man called horse) se fait attaquer par un grizzli et est abandonné gisant sur les ordres du capitaine Henri (John Huston) qui dirige l’expédition. Man in the Wilderness commence là où s’achève Vanishing Point pour prendre une direction opposée: au seuil de la mort, Zachary revoit son passé d’enfant athé et de veuf inconsolable laissant son propre enfant en nourrice par dégoût de la vie. Dans la fosse qu’on lui a creusé à la va vite au milieu des terres peuplées d’Indiens et de loups (pour seule arme : une Bible qui lui servira plus tard à allumer un feu), il ne s’abandonne pas au désespoir, l’instinct de survie est plus fort. D’abord motivé par la vengeance, Zachary va retrouver petit à petit l’énergie pour panser ses blessures et se remettre sur pied afin de suivre la piste du convoi. Mais sur le chemin qui le mène aux hommes qui l’ont sacrifié, les forces primitives de la nature éveillent en lui un sentiment qu’il pensait éteint : l’amour du monde. À la fin de son périple, alors qu’il est en position de se venger du convoi embourbé dans le lit du fleuve et encerclé par les indiens, il choisit le pardon. Il continue sa route, qui le mène désormais à son fils, entraînant dans son sillage le capitaine Henri et ce qu’il reste de ses troupes. La où Kowalsky fonçait vers la mort à travers un espace défiguré par la modernité, Zachary marche lui pas à pas vers la vie, régénéré par la nature sauvage. Dans une forme artistique similaire, celle du road movie, Richard C. Sarafian oppose ainsi la renaissance du héros de Man in the Wilderness au suicide de celui de Vanishing Point en composant une œuvre à double face, qui sera complétée en 1973 par le western The Man Who Loved Cat Dancing avec Burt Reynolds et Sarah Miles (bel acid western sentimental quelque part entre Hellman, Altman et Pollack). Il annonce ainsi, à l’instar d’une majorité de folkrockeurs comme les Byrds, Dylan ou Neil Young convertis aux vertues de la ruralité après les outrances psychés des sixties, le mouvement du retour à la terre qui s’esquisse au début des années 70. Are you ready for the Country ? Because it’s time to go…

Tuesday 26 July 2011

To Live And Die In L.A. /William Friedkin (1985)



Merveille des années 80: avoir compris qu'un clip en rotation permanente sur MTV pendant deux mois valait mille trailers.
Par ailleurs, le meilleur film de Friedkin (à égalité et dans le désordre avec Cruising, Bug, ou Sorcerer - son remake du Salaire de la Peur).

Sunday 16 January 2011

The Friends of Eddie Coyle / Peter Yates (1973)



En écoutant la nécrologie de Peter Yates l’autre samedi à Mauvais Genres sur France Culture, j’ai eu de nouveau envie d’écrire sur ce film. Peter Yates est surtout connu pour être le réalisateur de Bullitt, cette érection automobile de 10 minutes 53, mais il devrait l’être plus encore pour ce film plus sombre que noir, sur lequel je m’étais depuis longtemps promis de poster un billet sur DinD.

Les lecteurs du Freelance de Philippe Garnier le connaissent bien : c’est sur son tournage que Grover Lewis écrivit ce fameux article de Rolling Stone qui le brouilla avec Robert Mitchum ; celui où il le présente en demi-Dieu aux paupières mi-closes déboulant sur le plateau une pin-up sous chaque bras, et où il délire sur les sept couilles de l’acteur tout en remontant la généalogie des gangs de Boston où se déroule l’action. Et, chose incroyable, vu aujourd’hui, le film tient les promesses du papier de Lewis.

Mitchum y est Eddie Coyle, un malfrat de seconde zone qui fourgue des armes à des malfrats plus jeunes et plus paumés que lui, et ses « amis » sont le flic de l’ATF qui le tient par les couilles parce qu’il sait qu’Eddie est prêt à tout pour éviter la prison où il doit retourner bientôt, le barman qui l’a branché sur le coup foireux qui lui a valu sa condamnation, et un braqueur de banques à qui il vend des flingues, et qu’il vendra à la fin. Au début du film, Coyle raconte ses histoires de vieux de la vieille au jeune gars à qui il achète ses fusils piqués. Le gars l’écoute avec admiration et terreur, trop naïf pour comprendre que ces histoires de loyauté, d’honneur et de professionnalisme ne sont que les chimères auxquelles se raccroche Coyle, qui est un type fini et qui se démène tant qu’il peut pour ne pas en avoir conscience.

Mitchum est grand dans cette figure lourde de vieil homme qui se noie sous le ciel perpétuellement gris d’un Massachusetts glacial et trempé, et tous les autres acteurs du film sonnent juste : Richard Jordan, en policier « de la rue » avec pattes et veste en cuir (aujourd’hui, il serait joué par Michael Imperioli, le Christopher des Sopranos – d’ailleurs, il l’a déjà joué, dans le remake US de Life on Mars), Peter Boyle, le barman véreux et manipulateur, et tous les seconds rôles qu’ils croisent, des minables profondément humains comme Eddie Coyle.