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Tuesday 13 April 2010

Werner Schroeter, extinction


La mort, la nuit dernière, de Werner Schroeter me touche vraiment. Elle me touche comme son cinéma avait pu me foudroyer, un soir des années 90 où au Forum des images je pus enfin voir la Mort de Maria Malibran (1973), qui fut un espèce de choc tellurique, un idéal de défonce et d'isolement : un opéra tombé du silence, une scène peuplée de travestis et de fantômes. Il n’était pas camp ou queer, il était autre chose: peut-être une sorte d’orfèvre pré-punk, héritier total de Cocteau, de Genet, de Jack Smith et de Jean Lorrain. Dès fois, à trois ou quatre on rêvait... et si le cinéma moderne ça n’avait jamais été que ça : lui Werner, Garrel, un peu Warhol (celui d’Imitation of Christ ou de Chelsea girls), Eustache : la beauté du geste.
Puis j’ai pu en voir d’autres, à Vienne notamment, dans ce vieux cinéma avec un balcon et des loges, comme autrefois : Tous les marins du monde, avec Margareth Clementi et Maria Schneider dansant pour des matelots sur fonds de murs peints. Et surtout Willow Springs, un road movie dément de 1974, tourné depuis le bord de la route, dans un motel désert où viennent s’échouer trois femmes éprises de passion qui écoutent Puccini, Presley, Rita Lee, des Calypsos. Parmi elles, il y a Magdalena Montezuma, sa créature (une ancienne serveuse de bar androgune dont il a fait une héritière de Garbo) et aussi Christine Kaufmann, l’ex épouse de Tony Curtis. Qui s’était réfugiée dans ce film en plein drame avec Curtis qui ne voulait pas lui rendre ses enfants. Et derrière a caméra, Werner, son visage à la Dürer, ses longs cheveux blonds et son chapeau noir. Au milieu de tous ceux-la, le cinéma se faisait naturellement.

Sur une table de montage, il y a cinq ou six hivers de cela, j’ai aussi pu enfin voir le Règne de Naples, son grand film narratif de 1978 (histoire de Naples, de 1943 à 1972), film quasi perdu aujourd'hui, et je pense que les scènes ou Margareth Clémenti, en pute folle, fait des passes sous les rochers d’une crique, derrière un rideau pourpre et sale battu par le vent, éclairé par les oriflammes d’un brasero, font parti de ce que j’ai vu de plus beau de ma vie, question mouvement et désenchantement.
J’ai mangé une fois avec lui à Vienne, il n’avait plus de gorge -cancer - (lui qui n’a jamais filmé que l’opéra et son extinction) et moi non plus, aphone pour six mois. Ce fut un repas cocasse, et mutique. A Paris, la dernière fois, il y a plus d'un an, il allait mieux, il se battait contre le cancer, on marchait dans la rue et il me racontait comment il était devenu un cinéaste : «Je suis arrivé au cinéma presque par hasard. J’avais arrêté des études de psychologie après trois semaines et j’envisageais reprendre mes activités de putain. J’avais fait ça quelques mois, à Mannheim, et c’était très instructif, je crois ; j’avais une clientèle de père de famille, très dans le cliché d’époque : mon fils ne me comprend pas, ma femme ne me comprend pas… Bref, mes parents n’étaient pas enchantés à ce que je reprenne mes activités érotiques, aussi ils m’ont encouragé à m’inscrire dans une école de cinéma, tout à fait théorique. Moi qui suis tactile, j’ai tenu trois mois, avant d’aller au festival underground de Knokke-le-Zout. Là, dans une atmosphère de liberté incroyable, j’ai découvert les films de Gregory J. Markopoulos (qui ont influencé mes premiers films, je ne connaissais ni le cinéma de Warhol, ni Jack Smith) et je suis tombé amoureux d’un garçon de 25 ans, qui répondait du doux nom de Rosa Von Praunheim. Rosa ne supportait l’autre qui si l’autre était créatif, alors je me suis mis à faire des films avec la caméra 8 mm de mon enfance pour lui faire plaisir. Un an après, mes premiers films étaient montrés dans un cinéma d’art et essai à Munich.Puis j’ai acheté une Baulieu 16 mm et j’ai enchaîné les films avec mes amis travestis qui constituaient une sorte de famille pour moi. En 1969, j’ai tourné Eika Katapa, et, de fil en aiguille, la télévision allemande me passa commande de films, puis les gens du théâtre et de l’opéra sont venus à moi.»
Je n’ai pas trop la force de décrire son cinéma. Je n’ai pas envie ce soir de ressortir la vielle artillerie des adjectifs : baroque, opératique, enluminures opiumées, artifices, cérémonial, tout ça…
Juste vous renvoyer sur ce lien qui vous permettra de voir la Mort de Maria Malibran et sur cet autre lien qui vous donnera l’intégralité d’une conversation sublime entre lui et Michel Foucault, retranscrite en 1981 par Gérard Courant. Et terminer sur ces mots, sur lesquels nous nous sommes quittés, en décembre 2008, marchant de nuit vers son hôtel rue de l'Odéon : «Assassiner les autres, c’est espérer se trouver éternel. L’appropriation propre au capitalisme va dans le même sens. Celui ou celle qui refuse d’être quitté,l’appropriation dont ils font preuve, est, elle aussi, une forme d’assassinat. En 1968, la mère de mon fils était tombée amoureuse de mon amant, un jeune artiste peintre américain. Elle était enceinte de quatre mois, ils se sont mariés et ont eu mon fils. J’étais heureux, tu ne peux pas imaginer. J’avais libéré ces deux êtres. Il faut ouvrir les bras, laisser partir, c’est cela la vie. Tu veux un exemple de ce que c'est que la passion? En 1981, j’ai été chez Michel Foucault. Il y avait deux téléphones. Le second était pour la seule personne qui avait ce numéro, un jeune garçon dont il était amoureux et qui n’appelait jamais. Mais il était heureux en attendant ce coup de fil qui ne venait jamais… C’est cela, la liberté.»

Et merde.

2 comments:

  1. Promis, je vais me ratrapper:
    http://www.surrealmoviez.info/forum/viewthread.php?forum_id=25&thread_id=5502

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