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Friday 2 April 2010

Marjoe, de Sarah Kernochan et Howard Smith (1972)


L’examen des posts de DiD trahit chez la plupart d’entre nous une fascination évidente pour l’Amérique ; pour son cinéma, pour ses villes, pour ses icônes subculturelles, pour sa gun culture, pour ses exégètes méticuleux. Il est pourtant un grand angle mort dans cet amour transatlantique : la religion. Ou plus exactement, la religion de la majorité des Américains, le protestantisme « born again ». Je pense que, cinéma et littérature aidant, nous connaissons mieux l’univers des Juifs américains ou des catholiques névrosés de Little Italy que celui de ces dizaines de millions d’évangélistes qui font et défont les présidents et les majorités au Congrès depuis une trentaine d’années ; et le cinéma s’est beaucoup moins aventuré sur ces terres que, mettons, dans les garages des gangs de motards ou dans les tours de verre des grands métropoles américaines.

Il y aurait là peut-être une idée de liste impossible : le cinéma évangéliste américain. Chacun se souvient du mysticisme insensé de la mère de Carrie, mais on ne peut pas dire que beaucoup de titres sautent à l’esprit au-delà de ce jalon névrotique (la plupart des films sur la subculture chrétienne en Amérique semblant sortir de l’imaginaire de chair et de sang du catholicisme, du Martin de Romero au Bad Lieutnant de Ferrara, en passant, bien sûr, par les évangiles de Mel Gibson et Martin Scorcese).

Ce qui nous amène à Marjoe. Oscar du meilleur documentaire en 1972, ce film est à l’évangélisme ce que la supercherie de Leo Taxil fut à l’anti-maçonnisme à la fin du XIXème siècle (Leo Taxil était un anticlérical facétieux qui, pendant une dizaine d’années, joua au repenti pour les catholiques ultras, inventant des conspirations satano-maçonnique qui excitèrent jusqu’au pape Léon XIII, avant de ridiculiser ses dupes en dévoilant la supercherie dans une conférence à scandale en 1897).

Marjoe (= Mary + Joseph) Gortner était le fils d’une longue lignée de prêcheurs itinérants, ces stars de la religion qui promènent leur chapiteau de ville en ville. Il embrassa la carrière à l’âge de QUATRE ans, et le film montre des images hallucinantes de ce bambin rose et frisé en train de prêcher la Bonne Nouvelle, et même de célébrer un mariage. Il devint aussitôt une vedette du circuit évangéliste des années 1940/1950, avant de renier son apostolat à l’adolescence, pour traîner un temps dans la scène hippie californienne. Le film le retrouve à 27 ans, alors qu’il faisait son grand retour sous les tentes pentecôtistes.

Mais, en acceptant d’être le sujet du film de Sarah Kernochan et Howard Smith, le but de Marjoe Gortner n’était pas de célébrer son retour à la religion. Mais de signer sa rupture avec le monde qui avait dévoré son enfance. Car ce que montrent ces images, c’est un manipulateur au visage d’ange, une sorte de Mick Jagger de Dieu qui met littéralement en transe son public familial en célébrant le Seigneur (loué soit son nom !), en attendant de pouvoir brasser avec jubilation les billets de 20 dollars fruits de la collecte du jour, quelques minutes plus tard. Et qui révèle ensuite aux réalisateurs, avec une franchise stupéfiante, ses trucs de performer et son manque total de foi. « J’espère devenir une rock star ou un acteur », dit-il à un moment avec candeur (finalement, il transportera son charisme dans Starcrash, un grotesque remake italianisant de Star Wars).

Le film en lui-même n’est pas très bien foutu, accordant trop de place aux performances de Marjoe et pas assez à son passé, à ses confessions ou à ces moments privés où se dévoile l’hypocrisie de ses confrères. Et Marjoe lui-même a ce côté antipathique du traître arriviste qui fait que, finalement, on ne le plaint pas. Mais, dans l’ensemble, ce petit film oublié est une plongée saisissante dans cette subculture faite de mysticisme et d’avidité ; un voyage dans un monde peuplé de personnages tout droit sortis d’un livre de Harry Crews.

1 comment:

  1. super film... en evil twin, je propose l' "American Boy", Stephen Prince, docu incroyablement meconnu de Scorsese. Une autre tranche d'Americana...

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